Cassandre in ad:tech

Quelques heures passées dans les couloirs d'ad:tech Londres, ces 24 et 25 septembre à l'Olympia National Hall, m'ont remis à l'esprit un débat ouvert l'an dernier par Imagine 2015.

Ad:tech c'est "The event for digital marketing". Comprendre : on y parle principalement de publicité sur Internet. Et accessoirement de "behavioral marketing" ou "ciblage comportemental". Et donc entre les lignes de petits cookies planqués sur mon disque dur.

Comment ça marche au juste ? Un éditeur de contenu sur Internet, par exemple un journal, une chaîne de télévision, un site communautaire..., passe un accord avec un serveur d'annonces comme 24/7 Realmedia (mais il y en a d'autres). Lorsque je fais une requête vers une page, la plus grande partie du contenu que j'affiche va provenir du serveur de l'éditeur, mais les pubs, elles, arriveront d'ailleurs, du serveur d'annonces qui centralise tout et qui va se charger de me "servir" les bannières sur lesquelles j'ai (on l'espère tous) les plus grandes chances de cliquer (frénétiquement). L'annonceur, lui, n'a pas seulement décidé d'annoncer sur tel ou tel site dans telle ou telle tranche horaire, non, il a exprimé son désir de me mettre sa proposition sous les yeux à MOI. Et tout le monde lui a répondu : "Pas de problème".

Son agence média, la régie du site, le serveur d'annonces qui parfois fait aussi régie... tout ça compose une chaîne de valeur (sans s) très efficace surtout que, à la fin, un logiciel s'occupe de tout. En fonction du type de campagne de l'annonceur (par exemple une opération de "branding" ou une action de marketing direct), en fonction de la façon dont l'éditeur souhaite valoriser son audience (dont je fais partie), en fonction de mon comportement d'aujourd'hui, ou mieux encore, de mes comportements passés sur le site (on appelle ça le "retargeting"), le logiciel va choisir en temps réel la bannière la meilleure pour moi. Un monde parfait.

Jusqu'au jour où je finis par trouver un peu raide que tout ça se passe derrière mon dos.

Un petit sondage auprès des professionnels révèle que :
- Beaucoup pensent que je m'en fous et que ça n'arrivera jamais (que je crie : "Stop !"),
- Certains hasardent que, malgré tout, un début de débat de société ne serait peut-être pas un luxe,
- Tous affirment respecter scrupuleusement les règles légales sur l'usage des données, qui sont "drastiques",
- La plupart se déclarent capables d'identifier n'importe quels chauves joueurs de Go qui aiment les pulls en mohair et écoutent Alain Souchon (ah ouais, quand même...),
- Aucun ne sait trop comment ça va tourner, tant qu'on gagne on continue et on verra bien après...

Mais c'est juste un sondage. Rien de scientifique. Rien de personnel non plus même si j'aime bien Alain Souchon.

Alors que dit Cassandre ? Elle dit que Mozilla a sans doute raison. Raison, dans la version 3.0.3 de Firefox, publiée comme en réponse à nos interrogations le 26 septembre, de donner à l'internaute les moyens de contrôler facilement ses cookies site par site et de révéler au grand jour ce qui se passe derrière son dos.
Elle dit que c'est une question d'étiquette et de rapport à l'autre, et qu'on ne peut pas construire une civilisation seulement en tâtonnant et attendant que des pouvoirs s'élèvent et nous empêchent de faire n'importe quoi. Il faut peut-être aussi, un peu, vouloir aller dans un certain sens. La recherche sociologique est indissociable de la recherche technologique.

En revenant d'ad:tech, nous pensions qu'il serait bon qu'un jour une publicité donne à l'internaute trop confiant une image frappante de ce que représente à ce jour la navigation sur Internet : c'est un peu comme sortir tout nu de chez soi et marcher tranquillement dans la rue alors qu'il y a du monde aux fenêtres. Nous pensions qu'un utilitaire "Cookie reader", capable de révéler au grand jour leur contenu, serait un premier pas vers une prise de conscience. Nous pensions que la danse des technologues derrière le rideau opaque de la complexité n'allait pas durer pour toujours, et que gagneraient ceux qui sauraient les premiers rendre leurs utilisateurs informés et "intelligents". "Aware", dirait JCVD. Mais après ce que nous venions de voir, nous pensions aussi que ce genre d'idée avait peu de chance d'être entendue, et que Cassandre aurait mieux fait de ne pas vexer Apollon après avoir reçu de lui le don de prophétie... Mozilla nous a redonné confiance.

Lors d'Imagine 2015 l'an dernier Clino Castelli avait dit : « Ce sont des règles, une étiquette, c'est le mot le plus souple que je peux utiliser, qui peuvent nous aider à avoir une société, une condition, où la technologie peut être bien gérée et bien aménagée sans grands problèmes de fond. [...] C'est comme certains peuples qui ne veulent pas être photographiés, ils ont raison. Ils pensent que si tu prends alors tu dois payer. »

Espérons donc que Castelli n'ait pas vexé Apollon, lui, et que dans nos projets innovants, nous gardions clairement en tête l'idée de toujours mettre nos utilisateurs sur un pied d'égalité avec les inventeurs. C'est vrai, il ne faudra pas se plaindre, il y a longtemps qu'on est censé savoir...

PS: Ah oui ! à toutes fins utiles, les cookies de New Scientist sont parfaitement indolores ;) et nous recommandons notamment cet article.