Autoroutes neuronales

Crédit Photo : Brain Coral (Corail-cerveau) par
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Michel Houellebecq nous l'avait dit, comme quoi lire Houellebecq est en soi une activité profitable. Il l'avait dit dans La Possibilité d'une île, et placé dans la bouche de ce personnage qu'il surnomme "Savant" (quand même) : "Un cerveau humain comportant plusieurs milliards de neurones, le nombre de combinaisons, et donc de circuits possibles, était inouï - il dépassait largement, par exemple, le nombre de molécules de l'univers. [...] un circuit neuronal fréquemment utilisé devenait, par suite d'accumulations ioniques, de plus en plus facile à emprunter - il y avait en somme auto-renforcement progressif, et cela valait pour tout, les idées, les addictions, les humeurs."

Il l'avait dit, mais en avions-nous entendu toutes les conséquences potentielles ? Le dézinguage en règle de la théorie freudienne nous était resté en mémoire et nous demeurait fort délectable (Le Livre de Poche pp.118-120), mais l'impact sur la créativité et l'innovation, en toute franchise, nous avions passé dessus à pieds joints...

C'est un article récent de fastcompany.com intitulé Neuroscience sheds new light on creativity qui s'est chargé de faire le lien. Il expose en substance que notre cerveau est fainéant, et préfère naturellement emprunter le chemin d'une réminiscence ou d'une expérience répétée, plutôt que celui, inexploré, d'une idée ou d'une projection nouvelle. Sauf ?... sauf chez certaines personnes "géniales" que l'auteur, Gregory Berns, appelle iconoclastes (Iconoclasts, Harvard Business Press), ou encore dans des circonstances où le cerveau est arraché à ses habitudes, perd ses repères, et se voit dans l'obligation de produire de nouveaux (et inattendus) circuits. Le cas de Dale Chihuly, artiste verrier qui perdit un oeil dans un accident de voiture et fut ainsi conduit, au sens propre, à voir le monde d'une manière radicalement nouvelle, est selon Berns un exemple ultime, et il est vrai édifiant tant sa récente exposition au De Young Museum de San Francisco fut éblouissante.

Persian Ceiling, Dale Chihuly, photo de l'auteur

L'imagination est donc, semble-t-il, conditionnée directement par le contexte dans lequel le cerveau travaille. Moins il sera capable de prédire l'événement à venir, plus grande sera la créativité.

Que faisons-nous de cela ?

Nous pourrions commencer, au hasard, par réimaginer Imagine 2015 ! Qu'entraîneraient un changement de décor (pourquoi une "salle" ? pourquoi pas un camping ? un théâtre ? un café ?...), ou une évolution de la formule (pourquoi seulement un débat ? pourquoi pas une exposition ? des moments de spectacle ?) S'interdire de provoquer des résultats que nous n'attendons pas, ne serait-ce pas déjà enfermer l'avenir dans le passé ?

En attendant, donc, un Imagine 2015 lointain et tropical en apnée au milieu de cerveaux de corail, il n'est pas interdit :
- De lire Houellebecq,
- De se laisser aller à l'imagination pour la session de 2009 qui se tiendra les 28 et 29 mai,
- D'en faire état ici (en commentaires),
- Et d'espérer quitter les autoroutes neuronales pour des sentiers moins balisés.